Par Marc Mongenet, ingénieur informaticien diplômé de l'École polytechnique fédérale de Lausanne.
Le fond du débat abordé par ce document est très bien formulé par cette citation d'Alan Greenspan, reprise par The Register :
Lors du siècle passé, l'augmentation de la valeur des matériaux ne fut responsable que d'une fraction de la croissance globale du produit intérieur brut américain. Le reste de cette croissance vient de l'intégration des idées dans les produits et services que les consommateurs valorisent. Ce décalage de l'importance des matières physiques vers les idées comme noyau de la création de valeur semble avoir accéléré dans les dernières décennies.
Si notre objectif est de maximiser la croissance économique, le degré de notre protection de la propriété intellectuelle est-il adéquat ? Les protections sont-elles suffisamment étendues pour encourager l'innovation mais pas si étendues qu'elles bloquent toutes évolutions ultérieures ? Ces protections sont-elles si vagues qu'elles produisent des incertitudes qui augmentent les risques et le coût du capital ? Jusqu'à quel point le système actuel — développé pour un monde dominé par la propriété physique — est-il approprié à une économie dans laquelle la valeur réside dans les idées plutôt que dans le capital tangible ?
Un fort mouvement européen tend à généraliser les brevets au domaine purement informatique. Ce mouvement est particulièrement soutenu par les juristes et fonctionnaires spécialisés en propriété intellectuelle. Mais une large opposition s'est formée chez les informaticiens les premiers concernés. Ils soutiennent que les bénéfices seront aléatoires, tandis que les lourdeurs, les incertitudes juridiques et les coûts en feront des brevets des obstacles sur la voie du développement. Pour résumer, les informaticiens concernés voient le droit d'auteur comme un outil servant à défendre leur propriété intellectuelle et le droit des brevets comme un outil servant à attaquer leur propriété intellectuelle.
Ce document tente d'illustrer concrêtement la réponse des informaticiens aux interrogations d'Alan Greenspan.
Imaginons un écrivain qui se lance dans la rédaction d'une grande œuvre. Puisant son inspiration dans les classiques, il travaille seul, longtemps, durement. Après une longue année, il achève son œuvre. Alors le droit d'auteur lui donne l'exclusivité des droits d'utilisation, automatiquement, gratuitement et sans ambiguïté. Notre écrivain est tranquille : parfaitement honnête, il n'a ni calomnié ni plagié ; la loi le protège, il ne peut être dépossédé de son œuvre. Confiant, il entreprend donc sa diffusion. Mais sa confiance n'est sensée qu'en ignorant la menace des brevets…
Notre écrivain, qui avait commencé à tirer des revenus de son travail, reçoit un jour une lettre de juriste. On lui demande de cesser immédiatement la diffusion de son œuvre et on lui réclame des dommages-intérêts pour ce qui a déjà été diffusé. De quel droit pourrait-on s'emparer de son travail ? Ce droit est celui des brevets.
En effet, notre écrivain a écrit une histoire de vacances où les séjours sont achetés au prix fixé par les clients. Certes la description de ces enchères inversées n'est qu'une partie mineure de l'œuvre, mais bien décrite, comme tout le reste. Or le juriste représente une firme détenant un brevet intitulé « Méthode et dispositif pour un système connecté conçu pour faciliter l'achat conditionnel dirigé par l'acheteur » (1).
Que peut alors faire notre écrivain ? Il n'avait jamais pensé qu'on puisse breveter une manière de faire ses achats (2) ! En outre, il est sûr que ce qu'il décrit n'a rien d'une invention récente, donc brevetable. Mais il n'a aucune preuve sous la main. D'ailleurs pourquoi accorde-t-on un brevet sur quelque-chose d'aussi trivial et général (3) ? N'importe qui risque de « réinventer », sans même s'en rendre compte, quelque-chose de déjà breveté (10) !
Son étonnement passe à la lecture du brevet en question ; il est formulé dans un langage tellement abscons qu'il est raisonnablement impossible de reconnaître une éventuelle violation. D'ailleurs il est très difficile de se faire une idée précise de « l'invention » décrite par le brevet (4). Le seul prototype existant a depuis longtemps évolué en quelque-chose de méconnaissable (5).
Si même une personne du métier a du mal à comprendre un brevet, sans doute les employés du bureau des brevets ne comprennent pas non plus très bien la portée réelle des brevets qu'ils accordent. Après tout, ces bureaux ont accordés des brevets sur des mouvements perpétuels et autres inventions impossibles (6).
Mais toutes ces considérations ne convaincront sûrement pas un juge. Un simple écrivain n'a ni l'expérience (il ne s'est jamais pris pour un inventeur) ni les ressources (7) pour gagner un long procès contre une firme rodée à ce type de litiges, avec force batailles d'experts à la clé. Il décide donc de se plier aux exigences de la partie adverse. Il conclut une négociation à l'amiable et s'en tire en reversant une partie de ses revenus. Ça ne valait pas la peine d'essayer de défendre son travail, chacun le savait.
Fort de ce succès, la firme retourne à la recherche de nouvelles proies (8). Mais notre écrivain craint qu'un jour tout cela recommence, avec une autre firme, un autre brevet et un autre aspect de son œuvre. En effet, toute œuvre d'une taille conséquente comme la sienne contient presque autant de parties différentes qu'il y a de brevets dans le monde (9).
Amer, notre écrivain repense au juriste de la partie adverse. Les négociations conclues, ce dernier lui offrit un conseil : avant d'écrire sa prochaine œuvre, notre écrivain devrait lui commander une recherche des brevets existants. Bien sûr cela coûte fort cher pour un particulier, mais tout de même moins cher qu'un procès… Il ne savait pas si le juriste s'amusait à remuer le couteau dans la plaie ou s'il était authentiquement idiot. Il n'a pas répondu. Un telle œuvre n'est pas une brosse à dent, il n'y a évidemment aucun moyen de connaître les milliers de parties la composant avant qu'elle soit écrite. Les juristes en propriété intellectuelle sont bien les plus grands bénéficiaires du système. Ils gagnent leur vie en écrivant des brevets, puis en poursuivant ceux qui se font attraper et enfin ils viennent proposer leurs services pour indiquer l'emplacement des pièges qu'ils ont eux-mêmes posés (10) !
Et la menace ne s'arrête pas au travail. Par malheur notre écrivain avait pris pour hobby d'écrire de petits textes pour ses enfants. Voyant leur succès, il les avait mis à disposition du monde par son site Web personnel. Sa seule restriction étant que personne n'ait le droit de se les approprier (11). Or ces petits textes utilisent certainement quelques trucs brevetés. Désormais même les dons sont menacés (12) !
Le droit d'auteur saboté par le droit des brevets n'offrant plus suffisament de sécurité pour un indépendant, notre écrivain prend un travail salarié. Il s'agit simplement d'écrire industriellement plutôt qu'artisanalement. Et son employeur tire des brevets des textes qu'il écrit, puisqu'il est si facile d'«inventer» quelque-chose de brevetable. En fait, la partie la plus difficile et onéreuse est la traduction en jargon juridique, pas le développement informatique.
Ces brevets ne servent évidemment pas vraiment à protéger des inventions. Simplement, son employeur est dans un domaine très innovateur, donc un nombre considérable de brevets est déposé par tous les acteurs. Alors le seul moyen de pouvoir continuer à innover sans se faire bloquer par les brevets des concurrents et de soi-même breveter tout et n'importe quoi. Ainsi, contre chaque concurrent qui porterait plainte pour violation de brevet, on est prêt à sortir de sa manche des dizaines de violations. S'ensuit généralement un accord à l'amiable avec échange général de licences (13).
Un effet secondaire intéressant est que parfois un vieux brevet se trouve décrire quelque-chose approchant une technique devenue tout à fait commune. Nul besoin d'avoir participé d'une manière ou d'une autre au développement de la technique devenue très utile, une vague ressemblance suffit. Les espoirs de succès sont minimes, mais les chances de jackpot font tourner les têtes (14).
On l'aura deviné, notre écrivain n'écrit pas des romans, mais des logiciels, et cette triste histoire n'est pas une anticipation, c'est la réalité (15).
La firme Priceline.com détient un brevet sur la vente par ordinateur dont le principe est que l'acheteur fixe le prix (brevet américain 5794207, Method and Apparatus for a Cryptographically Assisted Network System Designed to Facilitate Buyer-Driven Conditional Purchase Offers). Cette firme s'est notamment fait connaître en attaquant Microsoft.
Voir « Priceline settles patent suits against Microsoft and
Expedia » à
http://www.computerworld.com/managementtopics/ebusiness/story/0,10801,56094,00.html
.
Les États-Unis permettent de breveter les logiciels et même la manière de conduire ses affaires. L'Europe interdit en principe les deux, mais des dizaines de milliers de méthodes informatiques sont tout de même brevetées.
Voir « European Software Patents: Comprehensive Documentation » à
http://swpat.ffii.org/patents/txt/index.en.html
.
Le bureau américain des brevets a tellement mal vérifiés le caractère innovant (et non évident) dans les nouvelles technologies que des initiatives privées sont apparues pour constituer des répertoires d'inventions existantes (IP.com). Le bureau européen ne semble pas non plus se distinguer par sa compétence en la matière, quoique la situation n'est pas encore aussi critique pour poser un jugement définitif.
Voir « European Software Patents Examples » à
http://swpat.ffii.org/patents/samples/index.en.html
.
Les brevets sont écrits dans un tel jargon qu'il est illusoire pour un informaticien de vouloir en comprendre la portée sans assistance juridique. Les brevets informatiques sont inutilisable comme littérature technique. Les seules références à des brevets dans des ouvrages techniques servent à indiquer le danger légal qu'ils posent autour de la technique couverte.
La possession de brevets est notamment utile aux startups pour rassurer les investisseurs. Il est cependant courant qu'un brevet ne couvre qu'une infime partie du produit développé. À l'inverse, en essayant de tout couvrir, le brevet devient facilement contournable par des modifications de détail. En outre, le développement d'un programme informatique étant continu, la probabibilité de s'écarter d'un brevet déposé est importante.
En bref, les brevets n'ont souvent aucune valeur commerciale. Les investisseurs ont d'ailleurs appris que pour chaque brevet que détient une startup, dix autres brevets sont détenus par d'autres firmes, bloquant tout espoir de développer un produit fini sans « l'accord » de la concurrence.
Voir « e-Patents and financial investing »,
http://www.vrijschrift.org/swpat/030508_1/
.
Une méthode impossible est par exemple une méthode mathématique capable de représenter toutes suites de N symboles par au plus N-1 symboles (compression de données aléatoires).
Voir http://gailly.net/05533051.html
sur le brevet américain 5533051.
Le coût d'un procès sur un brevet au États-Unis est de l'ordre du (ou des) million de dollars.
Voir (entre autres) « DISTORTION OF PATENT ECONOMICS BY LITIGATION COSTS »
http://www.law.washington.edu/casrip/ Symposium/Number5/pub5atcl3.pdf
.
Des firmes se sont spécialisées dans une forme spéculative d'exploitation de la propriété intellectuelle. Une technique typique est de racheter un brevet trivial ou très vague. Il est donc difficile à faire valoir, mais en même temps le nombre de violations potentielles est extrêmement élevé. À partir de là il s'agit de commencer les litiges contre les adversaires les plus faibles, puis fort des premiers succès judiciaires, de passer aux cibles plus lucratives.
Voir les échos des pratiques de PanIP à
http://www.google.com/search?q=panip+patent
.
Un programme informatique contient de quelques dizaines à plusieurs dizaines de milliers de fonctions, chacune risquant d'être couverte par un (ou plusieurs) brevet.
Voir
http://www.fourmilab.ch/autofile/www/chapter2_105.html
où un des fondateur d'Autodesk explique comment une fonction triviale a dû
être payée 25000 dollars en 1985.
Argument de vente en vogue dans les cabinets spécialisés en propriété intellectuelle : « Faites appel à nous avant tout développement.» Preuve que les brevets sont autant (sinon plus) un piège pour les développeurs qu'une protection pour les inventeurs. Or toute personne écrivant un programme informatique est un développeur. Les informaticiens ne devraient donc plus faire un pas sans l'assurance d'un juriste. Difficile d'imaginer pire frein au développement informatique.
« Recherches de liberté d'exploitation »
http://www.patentattorneys.ch/jahia/Jahia/lang/fr/pid/45
.
« La propriété intellectuelle est un danger permanent » selon
http://www.invention.ch/patents/danger.htm
.
Modèle de distribution de la GNU General Public License adopté par des dizaines de milliers de logiciels libres, dont le plus connu est Linux. Ce modèle de distribution, basé sur la liberté d'usage et de distribution, n'est pas compatible avec la moindre limitation supplémentaire, par exemple découlant d'un brevet.
En pratique, la politique adoptée par Linus Torvalds, concepteur de Linux, est d'ignorer tous les brevets et d'aviser en cas de réclamation. L'autre solution, étudier d'abord les brevets, peut aller jusqu'à prendre plus de temps que le développement lui-même. Enfin certains ont renoncé à leur projet devant les risques de dépossession.
« I do not look up any patents on _principle_, because
(a) it's a horrible waste of time and (b) I don't want to know. »,
selon Linus Torvalds, notamment consultable à
http://lwn.net/Articles/7636/
.
« J'ai probablement passé plus de temps à étudier les brevets
qu'à réellement coder des algorithmes de compression.» écrit l'auteur de
gzip
, méthode de compression la plus standard au monde, à
http://www.gzip.org/index-f.html#faq11
.
« It's well down my list of priorities because of uncertainties due
to the U.S. patent system.» selon Daniel Phillips, à propos du développement du
système de fichier TUX2, consultable à
http://www.kerneltraffic.org/kernel-traffic/kt20020902_182.html#19
.
Les grandes firmes informatiques et électroniques ont adopté un système de « mur de brevets ». Généralement les grosses sociétés qui ont accumulés beaucoup de brevets supportent les brevets sur les logiciels, les autres non (ou pas encore, en attendant de s'être constitué un mur assez haut).
« "OK," he said, "maybe you don't infringe these seven patents.
But we have 10,000 U.S. patents. Do you really want us to go back to Armonk
[IBM headquarters in New York] and find seven patents you do infringe?
Or do you want to make this easy and just pay us $20 million?" »,
témoignage édifiant d'une rencontre entre Sun Microsystems et IBM dans les
années 80, à
http://www.forbes.com/asap/2002/0624/044.html
.
Recueil de positions de Autodesk, Adobe, Borland, IBM, Intel, Oracle… à
http://www.base.com/software-patents/software-patents.html
.
Un mur de brevets fonctionne contre un concurrent de même taille, mais
pas contre les spécialistes de l'extorsion :
http://news.bbc.co.uk/1/hi/business/3722509.stm
British Telecom a essayé de prétendre qu'un vieux brevet du temps du vidéotexte couvrait les hyper-liens du Web. Leurs prétentions ont été rejetées.
Article du Washington Post, « Patently Ridiculous Claims » à
http://www.washingtonpost.com/ac2/wp-dyn?pagename=article&node=&contentId=A47281-2001Feb8¬Found=true
.
Bien que les logiciels soient (pour l'instant) écrits dans des langages techniques, comme les partitions de musique, il s'agit d'œuvre explicitement protégées par le droit d'auteur, éventuellement sous un régime légèrement différent comme en Suisse. À noter que la justice américaine a reconnu qu'un langage informatique est un moyen d'expression, en l'occurrence pour un cours de cryptographie.
Le Tech Law Journal
présente en détail le jugement du professeur en cryptographie
Daniel J. Bernstein à
http://techlawjournal.com/courts/bernstein/19990506.htm
.
En novembre 2000 s'est tenue la Conférence diplomatique pour la révision de la Convention sur le brevet européen. Une des propositions les plus « controversées dans le débat public » était de « supprimer les programmes d'ordinateurs de la liste des inventions non brevetables.» Finalement cette décision n'a pas été prise, afin de permettre la poursuite « du processus de consultation.» Tous les pays - exceptés la Suisse, le Liechtenstein et l'Autriche - ont voté le maintien du statu quo.
Une large opposition s'était rapidement formée contre cette tentative. Les adversaires les plus prompts et résolus se comptent sans doute parmi les développeurs de logiciels libres. Par exemple la pétition de l'alliance Eurolinux a récolté des dizaines de milliers de courriers de citoyens opposés à la brevetabilité des logiciels. Ce mouvement trouve également des échos dans les mondes économiques et politiques, notammment en France, Allemagne et Finlande. Malgré cela, les fonctionnaires et les lobbies de juristes de multinationales semblent suffisament puissants pour tailler la loi à leur mesure. Ils sont même allés jusqu'à proposer que ce soit les tribunaux plutôt que le législateur qui fixent les limites de la brevetabilité !
D'abord il faut noter que les informaticiens opposés sont les plus intéressés par l'informatique : les développeurs de logiciels libres ou les passionnés qui débatent sur des sites comme Slashdot. Leur opposition est à peu près unanime. En revanche, les consultants de sociétés de services informatiques ne se sentent pas concernés. Dans leur travail il ne songent jamais aux brevets. D'ailleurs l'obscurité des réalisations de ces sociétés les protège de la menace des brevets.
De l'autre côté, les partisans des brevets informatiques maîtrisent particulièrement mal la technique. Ils se déservent autant en avançant des arguments techniquemet absurdes que les informaticiens se déservent en avançant des arguments juridiquement absurdes. Mais en l'occurrence, c'est le droit qui doit servir l'informatique et non l'inverse.
Essayer de tromper l'opposition en lui vantant le mythe naïf de la ruée vers l'or est insultant.
Sur ce point les principaux intéressés ne sont pas d'accord. Ils trouvent le droit d'auteur parfaitement adapté à leur besoin. Le brevet en revanche est surtout plus cher, plus complexe et plus difficile à défendre.
Enfin si c'est une véritable protection qui est recherchée, plutôt qu'un piège pour la concurrence, alors le brevet en tant que description figée est mal adapté à l'informatique. En effet, un programme informatique est continuellement développé en de nouvelles versions, qui auront sans doute trop évolué pour rester couvertes par le brevet. En outre, c'est le développement continu qui assure un avantage sur la concurrence, pas les coûts de productions qui sont de toute façon négligeables, voire nuls.
En bref, le droit d'auteur est une bonne arme défensive sans capacité d'attaque. Le brevet est une meilleure arme d'attaque que de défense.
Les coûts des litiges sont beaucoup trop élevés. En outre leur issue est rendue aléatoire par la complexité du sujet. En informatique, la société qui copie bêtement le contenu d'un brevet concurrent est un mythe car ça ne sert à rien, les coûts de développement restent identiques, il n'y a rien qu'un informaticien puisse récupérer dans un brevet. Il s'agit toujours de violations involontaires et/ou ambigües.
Plus fondamentalement, le problème des mauvais brevets est le plus largement reconnu et celui qui cause les abus les plus graves. Mais plutôt que de commencer par régler ce problème, le lobby des brevets veut commencer par augmenter encore le nombre de brevets. En fait les informaticiens ne font aucune confiance au lobby pour régler le problème des mauvais brevets. En effet, ces derniers enrichissent les membres du lobby.
Ce qui est peut-être vrai avec les produits matériels - qui ont un coût de production - ne l'est pas pas en informatique. Internet ou le World Wide Web n'ont pu triompher qu'avec des standards libres et ouverts, non encombrés de brevets. La tentative du World Wide Web Consortium d'accepter la standardisation de méthodes brevetées a rencontré une très forte opposition. Ainsi Tim Berners-Lee, inventeur du World Wide Web qui n'a sciemment pas protégé son invention pour en assurer le succès, craint un fractionnement de l'Internet : "They are getting in the way of a commmon, universal Web".
Un autre exemple est le gouvernement américain, qui pour remplacer son standard de cryptage des données confidentielles (DES) n'a accepté d'évaluer que des méthodes libres de brevet.
À l'inverse, les brevets peuvent être utilisés pour empêcher la compatibilité, notamment des logiciels libres, comme Microsoft contre le projet Samba.
C'est justement aux États-Unis qu'une virulente opposition est née. En outre, les témoignages tendent plutôt a montrer des embûches que des avantages. Quant aux startups de la bulle Internet, malgré leurs brevets, on a constaté qu'elles ne valaient souvent rien.
Les études économiques semblent aussi montrer que les brevets coûtent surtout chers en litiges stériles, au détriment du développement informatique.
En informatique c'est l'inverse. Sans brevet, l'innovation est obligatoire pour se distinguer de la concurrence, puisqu'on ne peut pas produire moins cher que gratuit. Avec les brevets en revanche, on peut se reposer sur ses lauriers durant une bonne décennie, une éternité dans ce domaine.
Le manque de connaissances spécifiques de la part des partisans des brevets leur donne mauvaise image chez les informaticiens opposés. Ils sont parfois si déconsidérés qu'ils passent pour des parasites plus attirés par l'argent des grandes sociétés informatiques que par le bien commun.
¹ Titre construit en clin d'œil au fameux article académique Go To Statement Considered Harmful de l'informaticien Edsger W. Dijkstra.
© 2000, 2001, 2002, 2003, 2004, 2005 Marc Mongenet.
Dernière modification et
validation
le 10 juillet 2005.